La verrerie antique (Ier-Ve s.) dans la région Haute-Normandie : principales données et panorama des découvertes récentes

L’archéologie préventive a considérablement renouvelé les connaissances, dans bien des domaines. En Haute-Normandie, les découvertes récentes offrent aujourd’hui l’opportunité d’avoir un regard d’ensemble sur la verrerie antique, tant dans ses proportions, ses formes, que ses techniques de fabrication ou encore ses différentes évolutions. Ces données devraient à terme permettre de mieux appréhender la circulation et l’usage du verre dans le nord de la Gaule, et d’en apprécier ses spécificités régionales.

Antique Glassware (1st-4th Centuries AD) in the Haute-Normandie Region: Principal Discoveries and Panorama of Recent Findings in 2014

For many fields, preventive archeology has been an opportunity to update our knowledge. In Normandy, recent findings have given the opportunity of an overall view on antique glassware regarding proportions, shape and technical design in its all different evolutions. These new data should enable us to better understand the circulation and the use of glass in the north of Gaul and to appreciate the regional particularities.

verre, flacon, fiole, bouteille, barillet, cruche, carafe, carafon, aryballe vase, verrerie, fabrication, filet, modèle, marque, cosmétique, pharmacie, culinaire, boisson, domestique, funéraire, sépulture, tombe, incinération, stockage, Gaule, Haute-Normandie, Seine-Maritime, vallée de la Seine, Rouen, Évreux, Elbeuf, Lillebonne, Isneauville, Hautôt-Le-Vâtois, Pîtres, Val-de-Reuil, Heudebouville, Caudebec-lès-Elbeuf, Rhénanie, antique, Haut-Empire, Bas-Empire.

Cet article a été publié dans Flacons, fioles et fiasques. De l’Antiquité à nos jours. Les Cahiers de Verre & Histoire no 3, Actes du troisième colloque international de l’Association Verre & Histoire, Rouen-Vallée de la Bresle, 4-6 avril 2013, Carré A.-L. et Lagabrielle S. (dir.), Paris : Éd. Verre & Histoire, mai 2019, p. 55-77.

La Haute-Normandie, et plus particulièrement la Seine-Maritime, est connue pour ses collections de vases en verre exhumés lors des travaux ou bien des fouilles anciennes effectuées au XIXe siècle, notamment en milieu funéraire. Si ces séries, qui ont servi de base au travail de G. Sennequier publié en 2013, constituent toujours une référence incontournable, en particulier du point de vue morphologique, technologique et décoratif, elles n’offrent qu’une vision partielle du verre antique régional. En effet, la plupart des vases manquent de datations précises et de données quantitatives tandis que leur contexte de découverte n’est pas toujours connu. Enfin, ces collections anciennes laissent apparaître un important déséquilibre entre les deux grandes parties de l’Antiquité (Haut et Bas-Empire), la première étant nettement mieux documentée. Dans ces conditions, il a semblé ici intéressant de dépasser la seule étude des flacons.

Depuis une vingtaine d’années, les fouilles préventives de nombreux sites, urbains comme ruraux, domestiques et surtout funéraires, ont fourni de multiples ensembles de verres se rapportant aux différentes périodes de l’Antiquité. Ils sont souvent assez modestes mais leur compilation permet aujourd’hui d’avoir une vision plus précise de la verrerie gallo-romaine régionale et d’en évaluer ses principales caractéristiques, qu’elles soient typologiques et technologiques, tout en mesurant ses différentes évolutions au fil du temps. Il ne saurait toutefois être question d’aborder toutes ces découvertes dans le détail. Un panorama des trouvailles récentes, toutes inédites, met par contre en évidence les principaux traits d’ordres typologiques et qualitatifs ou encore quantitatifs de la verrerie régionale, tout en soulignant les déficits persistants d’informations, sur fond de chronologie plus solidement établie. Celle-ci est surtout précisée par le biais des associations avec la céramique, mieux datée, ou bien des monnaies, toutes deux particulièrement fréquentes dans les tombes des IIIe et IVe siècles.

Carte des principaux sites archéologiques ayant livré de la verrerie antique en région Haute-Normandie
Fig. 1 – Localisation des principaux sites concernés ou mentionnés. (© Y.-M. Adrian)

Ier siècle : Heudebouville « Écoparc » (habitat) ; Pîtres « La Remise » (nécropole) ; Guichainville « Le Long Buisson » (habitat et sépultures) ; Guichainville « Saint Laurent » (habitat et zone funéraire) ; Lillebonne (nécropole) ; Harfleur, « ZAC des Côteaux » (sépulture isolée).

IIe et IIIe siècles : Isneauville « Plaine de la Ronce » (zone funéraire) ; Houppeville « rue P. Langevin » (zone funéraire) ; Fontenay « ZAC du Nerval » (zone funéraire) ; Pîtres « La Remise » (nécropole) ; Val-de-Reuil « La Comminière » (nécropole) ; Hautôt-Le-Vâtois, « La Plaine du Bosc Renault » (habitat et zone funéraire) ; Rouen « Place du Gal de Gaulle » (habitat).

IVe et Ve siècles : Pîtres « La Remise » (nécropole) ; Val-de-Reuil « La Comminière » (nécropole) ; Val-de-Reuil « Le Cavée » (nécropole) ; Rouen « La Cathédrale, Cour des Maçons » (habitat) ; Guichainville « La Petite Dîme » (habitat) ; Guichainville « Le Long Buisson » (habitat) ; Capelle-les-Grands « Les Terres Noires » (habitat et zone funéraire).

L’auteur tient à remercier C. Beurion, G. Blancquaert-Desfossés, D. Breton, V. Carpentier, L. Féret, L. Jégo, G. Léon, C. Lourdeau, D. Lukas, E. Mare, C. Maret (†), N. Roudié (INRAP), ainsi que J. Boisson (Archéopole) et J. Le Maho (CNRS), pour la mise à disposition du mobilier issu de leurs opérations de fouille.

I. Le Ier siècle

Il est aujourd’hui acquis que la verrerie n’apparaît pas avant le milieu du Ier siècle en Haute-Normandie et qu’elle n’est présente jusqu’à la fin du siècle qu’en faibles quantités, certains sites n’en livrant même pas du tout. En outre, son emploi se cantonne surtout à une catégorie bien particulière de vases accessoires : elle concerne en effet presque toujours des petites fioles ou flacons très simples utilisés pour la cosmétique ou la pharmacie, voire la médecine (formes Isings 6/8 ou HN.9.5 – 9.10 de Sennequier, 2013 ; cf. fig. 2). S’y ajoutent quelques « bâtons » torsadés type Isings 79, apparemment destinés aux mêmes usages, ainsi qu’une ou deux boules à parfum (non ill.). Ces pièces d’accessoires sont aussi bien trouvées en mobilier d’accompagnement dans les tombes que dans les dépotoirs d’habitats, rejoignant ainsi un phénomène largement observé en Gaule à la même période. Manifestement produites en grande quantité, ces verreries utilitaires sont sommairement élaborées et présentent de nombreuses imperfections, tant dans leurs formes que dans leurs matières. Un exemple représentatif de ce phénomène est fourni par une série funéraire provenant de Pîtres (27), dans la vallée de la Seine, où les fioles sont nombreuses et de fabrication souvent rudimentaire (cf. les plus représentatives sur la fig. 2). Or ce dernier site a également livré un rare balsamaire à deux anses, finement décoré de filets bleus, unique exemplaire connu dans toute la région d’un type de verre de qualité déjà rencontré en Rhénanie d’où il est peut-être issu (forme Goethert-Polaschek 134 ; cf. fig. 2, partie inférieure).

Verrerie antique normande : principales formes de fioles ou unguentaria et bâtonnets du Ier siècle, ainsi que quelques verres et figurines funéraires en terre cuite trouvés à Pîtres et Heubebouville
Fig. 2 – Principales formes de fioles ou unguentaria, et bâtonnets du Ier s. (© Y.M. Adrian / S. Le Maho)

Face au très large monopole de la verrerie accessoire, la verrerie culinaire reste particulièrement peu répandue et concerne presque uniquement des bols souvent rehaussés d’importantes côtes en relief (formes Isings 3), produits en verre bleuté, exceptionnellement brunâtre (fig. 3). Ce modèle se complète d’un unique bol lisse à bord ourlé de type Goethert-Polaschek 22 (variante du Isings 44 : cf. fig. 3). Par ailleurs, deux petites coupes identiques, inspirées de la forme en céramique sigillée Dragendorf 4/22, se signalent dans une même sépulture à incinération récemment découverte à Harfleur1, attribuable à la deuxième moitié du Ier siècle (une est illustrée fig. 3). De fabrication rudimentaire et déclinées en verre brunâtre, elles constituent les seuls exemplaires connus dans toute la région.

Principales formes de verreries de table gallo-romaine normande (Ier siècle)
Fig. 3 – Principales verreries de table du Ier s. (© L. Féret / Y.-M. Adrian)

De manière générale, le verre millefiori reste très exceptionnel au sein de la vaisselle de table régionale, manifestement réservé à une clientèle aisée et principalement urbaine2. À ces formes destinées au service ou à la consommation alimentaire s’ajoutent des pots avec ou sans décor « côtelé » Isings 67 de couleur bleutée voire verdâtre ainsi que d’autres formes plus ou moins identifiables (fig. 3). Parmi elles se distinguent quelques petites cruches ou carafes pas toujours bien conservées mais qui présentent différentes variations (dont les types Isings 52 et 55), y compris dans leur technique de fabrication (couleurs bleues ou brunes, filandres éventuelles, etc.). La présence de ces cruches reste rare dans la région, particulièrement en contexte domestique, et seul l’habitat rural étudié à Heudebouville (27) en a livré deux si ce n’est trois dans un même dépotoir, fait singulier pour une occupation rurale d’ampleur modeste3. Les deux autres découvertes récentes de cruches assez élaborées sont d’origine funéraire : une à Évreux (site du « Clos au Duc ») dans une tombe attribuable à la deuxième moitié du Ier siècle, et une autre, très différente, exhumée récemment à Lillebonne4 (fig. 3). La même tombe à incinération de Lillebonne, seule sépulture régionale à fournir trois verreries pour cette période, livre simultanément deux pièces assez exceptionnelles : la première est un « rhyton » Isings 73b en verre brunâtre, rehaussé de fines côtes, a priori seul exemplaire attesté dans la région5 (cf. fig. 3 et 4). La deuxième est un curieux « bol » à fond épais ombiliqué, réalisé dans une pâte bleuâtre très riche en bulles, dont la forme semble complètement inédite, du moins à l’échelle régionale (variante du type Isings 12 ? Cf. fig. 3 et photos fig. 4). La datation de ces deux verreries remarquables de Lillebonne est fournie par le mobilier céramique associé, caractéristique du dernier tiers du Ier siècle.

Fragments de verreries de table du 1er siècle trouvés à Heudebouville
Fig. 4 – Photographies de verreries de table du Ier s. :
[a] Heudeb. st. 133-a ; [b] Heudeb. st. 133-b ; [j] Heudeb. st. 133-i ; [i] Heudeb. st. 133-j. (©  S. Le Maho / Y.-M. Adrian)
Verrerie de table (cruche, bol, rhyton) trouvée à Lillebonne
Fig. 4 – Photographies de verreries de table du Ier s. : [en haut] Lilleb. sép. 524-a ; [à gauche] Lilleb. sép. 524-b ; [à droite] Lilleb. sép. 524-c. (©  S. Le Maho / Y.-M. Adrian)

II. Les IIe et IIIe siècles

À l’inverse de la première, la deuxième partie du Haut-Empire fournit une grande quantité de verreries, de différentes formes, fonctions et qualités. Ce phénomène est particulièrement perceptible durant la période comprise entre le dernier quart du IIe et le IIIe siècle durant lesquels les verreries sont fréquentes et parfois même abondantes, tant dans les tombes que sur les habitats. Parallèlement, une évolution importante s’observe, en particulier sur le plan fonctionnel : en effet, le verre se développe au sein de la pratique culinaire quotidienne et même s’il ne concerne souvent que des vases utilitaires destinés au conditionnement ou au service (pots, bocaux et bouteilles), sa part est en nette augmentation tandis que son éventail s’est considérablement élargi.

Les bouteilles tiennent à l’évidence une place privilégiée au sein de cette verrerie de stockage ou culinaire, tant en nombre qu’en variété. Au regard des données actuelles, leur apparition n’est pas antérieure au premier quart du IIe siècle tandis que leur nombre paraît augmenter constamment jusqu’au IIIe siècle. Sans surprise, ces bouteilles sont très largement dominées par les formes carrées ou hexagonales Isings 50 et 52 déclinées sous de nombreuses tailles ou variantes (cf. les plus significatives sur la fig. 5), auxquelles s’ajoutent de rares bouteilles rectangulaires Isings 90 qui ne semblent connues pour l’instant que par quelques exemplaires funéraires (dont Pîtres, cf. fig. 5 ; et cf. Sennequier, 2013, p. 168-169). Mais il faut bien reconnaître que la forme de cette bouteille n’est pas aisée à distinguer des formes carrées à l’état de simple fragment issu d’un dépotoir et il est donc possible que sa présence soit sous-estimée.

Principales variantes de bouteilles quadrangulaires et hexagonales des 2e et 3e siècles
Fig. 5 – Principales variantes de bouteilles quadrangulaires et hexagonales des IIe et IIIe s. (© Y.-M. Adrian)

De nombreuses formes cylindriques Isings 51, un peu moins fréquentes que les séries quadrangulaires ou hexagonales, complètent l’éventail des bouteilles. Elles paraissent plus homogènes du point de vue morphologique et sont le plus souvent de grandes dimensions (cf. fig. 6). À la différence des séries carrées ou hexagonales, leurs corps parfaitement cylindriques et lisses ne laissent apparaître aucune trace du moule dans lequel elles ont été soufflées, de même que leurs fonds toujours légèrement bombés. S’y ajoute une unique bouteille cylindrique Isings 126 en verre incolore, rehaussée de lignes en creux, récemment trouvée à Isneauville, près de Rouen (76), dans une tombe du IIIe siècle (cf. fig. 6), et qui fournit un presque parfait écho à celle trouvée anciennement à Lillebonne (76) dans une tombe exceptionnelle (Sennequier, 2013, p. 176 et pl. 31).

Principales variantes de bouteilles cylindriques des 2e et 3e siècles
Fig. 6 – Principales variantes de bouteilles cylindriques des IIe et IIIe s. (© Y.-M. Adrian / L. Féret)

La bouteille cylindrique à panse côtelée Isings 89 (« barillet » ; cf. fig. 6) est quant à elle régulièrement rencontrée mais elle occupe rarement une place significative au sein des assemblages, y compris au IIIe siècle, face aux modèles carrés ou hexagonaux largement prédominants. Ainsi, certains sites ne livrent aucun barillet, tel celui d’Hautôt-le-Vâtois (76), où cohabitent une petite série funéraire et une série domestique, ou bien encore celui d’Isneauville, près de Rouen (76), où la série funéraire se compose de 22 verres très variés mais aucun barillet. D’autres ensembles funéraires comme Pîtres (27) ou Val-de-Reuil (27) n’en livrent qu’un ou deux exemplaires. Dans ces conditions, un contraste important s’observe avec une série funéraire comme celle de Vatteville-la-Rue (76)6, qui comporte 16 barillets (soit presque 30 % des 57 verreries découvertes), ou avec une série domestique étudiée au Vieil-Évreux (27)7 dans laquelle les barillets prédominent le corpus, ce qui amène à s’interroger sur de telles différences (d’ordre fonctionnel ?).

Les bouteilles trouvées récemment livrent plusieurs marques de fabrication plus ou moins connues ailleurs en Gaule. Quelques-unes sont toutefois inédites (cf. infra, chap. V). Comme le soulignait déjà G. Sennequier8, l’existence d’une multitude d’ateliers, pour certains sans doute locaux ou au contraire éloignés, est manifeste, ce qui explique aussi sans doute certaines particularités morphologiques observées, notamment sur des pots ou « bocaux » inhabituels (cf. fig. 7), voire aussi sur certains bols de la petite série funéraire d’Isneauville (76). À ce titre, la composition de cet ensemble rural d’Isneauville présente plusieurs particularismes qui s’expriment surtout par la présence de vases inédits et de grands bols de différentes factures (cf. infra et fig. 8), auxquels s’ajoute un rare aryballe ajouré (cf. infra et fig. 9).

Principales variantes de pots ou bocaux des 2e et 3e siècles
Fig. 7 – Principales variantes de pots ou « bocaux » des IIe et IIIe s. (© Y.-M. Adrian)

Parallèlement au développement général de la verrerie, le verre augmente au sein de la vaisselle de table, par l’intermédiaire d’une grande variété de vases aux fonctions diverses et complémentaires (bols ou coupes, gobelets et carafes de différentes formes : cf. fig. 8). Parmi ces derniers se distingue le bol Isings 85, très répandu, qui est décliné sous deux variantes sensiblement différentes. L’une est très classique (verre incolore entièrement moulé), mais l’autre était jusqu’à peu encore inconnue dans le répertoire régional : elle est toujours déclinée en verre bleu très pur tandis qu’elle est pourvue d’un important pied annulaire évidé associé à une surépaisseur au fond, issue de l’attache du pontil. Rencontrée entre la 2e moitié du IIe et la première moitié du IIIe siècle, cette variante toujours d’assez grande taille (plus ou moins 17 cm d’ouverture) a été reconnue en plusieurs exemplaires, tant en milieu funéraire à Isneauville (76 ; cf. fig. 8), qu’en milieu domestique, comme à Plasnes (27), à l’ouest d’Évreux. Elle trouve un parallèle dans d’autres régions, notamment en Poitou et en Champagne (Simon-Hiernard, 2000 ; Dutoo et al., 2008).

Plusieurs autres formes rencontrées avec parcimonie participent à cette diversité accrue des formes destinées à la table durant cette période. Ceci concerne des modèles très différents de « bols » ou de « coupes » (dont deux apparentées au type Isings 42), voire aussi de gobelets (forme HN 4.5 de Sennequier, 2013) et de petits « carafons » sans verseur ni anse (Goethert-Polaschek 101 ?), ou au contraire une petite cruche à bec pincé et anse étroite (Isings 88), unique exemplaire régional réellement attesté à ce jour. Presque tous ces vases sont déclinés en verre incolore opaque de très belle facture et certains sont également rehaussés de décor(s) de filets (cf. fig. 8 et photos, fig. 10). Parmi ces différentes verreries de qualité rencontrées le plus souvent en un seul exemplaire, se distinguent quelques pièces inhabituelles qui ne trouvent que peu de comparaisons. Ceci concerne une sorte de gobelet à col évasé et bord coupé non rebrûlé, rehaussé de dépressions, dont la forme est apparentée au type Goethert-Polaschek 101, découvert à Eslettes, au nord-ouest de Rouen (cf. fig. 8, partie supérieure). Selon les quelques parallèles disponibles9, cette forme unique dans le corpus régional paraît attribuable à la 2e moitié du IIIe voire peut-être au début du IVe siècle, malgré l’absence de mobilier associé. Dans un autre registre, une petite carafe sans anse et col très effilé, abondamment décorée de filets horizontaux ou ondulés se remarque également (cf. fig. 8, en haut à droite). Elle provient d’une sépulture à incinération trouvée récemment à Houppeville, au nord de Rouen, associée à des céramiques ainsi qu’à deux autres verreries dont un flacon estampillé « PATRIMOR VEC.. » et une grande bouteille carrée portant la marque « D ». Dans le même secteur géographique, quelques vases en verre incolore mat se signalent au sein du petit ensemble funéraire d’Isneauville (76). Ces derniers rassemblent des formes variées plutôt réservées à la boisson (fig. 8), voire à la cosmétique (aryballe ajouré, fig. 9). Enfin, un intéressant « gobelet » à bord coupé non rebrûlé en verre incolore de belle qualité, rehaussé d’un double décor moulé et meulé, se remarque également à Rouen « Place du Général de Gaulle »10, dans un contexte domestique bien daté du 3e quart du IIIe siècle (cf. fig. 8). Une forme assez similaire est attestée en Rhénanie au IVe siècle (Goethert-Polaschek 48), ce qui n’est pas sans poser question : s’agirait-il de son antécédent ? Ce même site rouennais livre aussi deux inhabituels petits bols en verre blanc à pied annulaire très épais réalisé dans la masse, et dont G. Sennequier avait déjà relevé la rareté (forme HN 3.6, cf. fig. 8).

Principales formes dans la vaisselle de table des 2e et 3e siècles
Fig. 8 – Éventail de la vaisselle de table des IIe et IIIe s. (© Y.-M. Adrian)

Pour clore l’évocation de la vaisselle de table, signalons une petite coupelle en verre blanc apparentée au type Isings 80 (cf. fig. 8, partie inférieure) provenant d’Arnières-sur-Iton, près d’Évreux (27), dans un dépotoir de la première moitié du IIe siècle, et qui est le seul exemplaire de ce type connu dans toute la région. De même, un intéressant petit « bol » à bord évasé rebrûlé, doté de côtes rapportées uniquement dans la partie inférieure, se signale à Pîtres, dans un contexte funéraire a priori du IIIe siècle (cf. fig. 8, partie inférieure). Aucun parallèle n’est disponible pour cette pièce dont le verre bleu très pur détonne quelque peu au sein du corpus très majoritairement incolore de verres de table. Toutefois, la qualité de la matière et la technique décorative utilisée ne laissent aucun doute sur la réalité d’une fabrication élaborée.

Principales formes de fioles et vases divers des 2e et 3e siècles
Fig. 9 – Principales formes de fioles et vases divers des IIe et IIIe s. (© Y.-M. Adrian / L. Féret)

Face au développement de la verrerie culinaire (service ou consommation des aliments), la verrerie réservée à la cosmétique ou bien la pharmacie occupe une place beaucoup moins importante qu’auparavant. Simultanément, elle révèle une évolution morphologique significative par le biais d’un renouvellement complet de son répertoire. Si quelques petites fioles, avec ou sans dépressions, paraissent assurer une sorte de continuité avec les séries antérieures de ce genre (cf. fig. 9, partie supérieure), les autres formes d’accessoires sont nouvelles mais pour la plupart très classiques de l’époque : fioles Isings 82 dont une de grande taille et pourvue d’une marque, petits pots Isings 62 ou 68 complétés par plusieurs pots sans col de différentes tailles, apparentés au type Isings 130, découverts aussi bien en milieu funéraire que domestique, notamment à Hautôt-Le-Vâtois (76) ou bien à Évreux (27). S’y ajoutent deux aryballes très différents et assez exceptionnels : un aryballe aplati et ajouré en verre blanc, découvert à Isneauville (76) dans une tombe du IIIe siècle et un aryballe ramassé et carène très saillante en verre bleuté à Fontenay (76), dans une tombe du IIe siècle (cf. fig. 9). Si on y ajoute l’aryballe globulaire plus classique trouvé à Hautôt-Le-Vâtois dans une tombe de la fin IIe ou de la première moitié du IIIe siècle, ces trois exemplaires offrent une image particulièrement variée de ce type de fiole à parfum, comme le montrent aussi les nombreuses découvertes antérieures, régionales ou extérieures.

Pièces de verrerie des 2e et 3e siècles
Fig. 10 – Photographies de verreries des IIe et IIIe s. : [a] bouteille Isings 51 d’Isneauville (76) ; [b] pot Isings 94 d’Isneauville (76) ; [c] pot ou bocal inétit d’Isneauville (76) ; [d] bouteille Isings 51 découpée d’Isneauville (76) ; [e] bol Isings 85 d’Isneauville (76) ; [f] flacon décoré de « côtes » d’Isneauville (76) ; [g] gobelet HN 4.5 d’Isneauville (76) ; [h] aryballe ajouré d’Isneauville (76) ; [i] coupelle Isings 42A de Pîtres (27) ; [j] bouteilles Isings 52 de Pîtres (27) ; [k] fiole Isings 82 de Pîtres (27) ; [l] petit ensemble funéraire d’Houppeville (76). (© S. Le Maho)

III. La fin du IIIe et les IVeVe siècles

Longtemps méconnue, la verrerie du Bas-Empire est aujourd’hui relativement bien documentée à l’échelle régionale, tout au moins celle de la première partie du Bas-Empire, par le biais de deux séries funéraires exhumées dans la vallée de la Seine, à Pîtres et à Val-de-Reuil (27), auxquelles s’ajoutent des ensembles domestiques urbains (site de Rouen, « La Cathédrale ») ou ruraux, ces derniers pouvant être relativement significatifs, notamment dans la région d’Évreux (Guichainville).

Ces sites révèlent clairement que l’usage du verre continue de se développer à cette période, après un certain ralentissement, sans doute conjoncturel, durant la deuxième moitié du IIIe siècle. Cette augmentation s’observe aussi bien sur les habitats que dans les tombes, devenues inhumations à partir du IIIe siècle et où le dépôt, y compris multiple, de vases en verre est très fréquent. Or ces verreries sont souvent associées à des monnaies ou bien à des céramiques caractéristiques, ce qui fournit des jalons décisifs pour leur datation.

Verrerie normande antique : principales marques récemment découvertes en Haute-Normandie.
Fig. 11 – Principales marques récemment découvertes en Haute-Normandie. (© Y.-M. Adrian / L. Féret)

Perceptible dès le début du IIe siècle et accentuée au IIIe siècle, l’évolution fonctionnelle du verre trouve un véritable aboutissement durant cette période : en effet, ce matériau ne concerne désormais pratiquement plus que la vaisselle de table et de service, en particulier celle destinée à la boisson, aux dépens de celle de stockage ou de transport ainsi qu’aux dépens de la verrerie accessoire, toutes deux en voie de disparition au IVe siècle11. Parallèlement, le répertoire évolue radicalement et l’éventail – totalement nouveau — des formes montre une nette diminution du nombre de modèles distribués, tandis que certains sont simplifiés et pratiquement standardisés. Alors qu’elles étaient auparavant nombreuses et assez diversifiées, les bouteilles ont pratiquement disparu au IVe siècle, seuls subsistant quelques barillets cylindriques à une ou deux anses types Isings 89/128. Provenant d’une tombe de Val-de-Reuil recélant deux monnaies de Constantin Ier, l’un de ces barillets possède une marque « M M » inédite (fig. 13). S’y ajoute un unique exemplaire de grande bouteille cylindrique à deux anses Isings 127 provenant de Pîtres (fig. 13, au centre), également d’époque constantinienne12, dont la rareté ne dément pas les appréciations antérieures (Sennequier, déjà citée, p. 177-178). On peut se demander si la disparition des bouteilles à anse(s) n’a pas une relation avec le développement d’un modèle de « flacon » ou de « carafon » à la forme simplifiée (type Isings 101 ou HN 10.5), particulièrement abondant dans les tombes mais aussi attesté dans les habitats.

Un cas un peu particulier se manifeste pour les verreries à petites tubulures latérales dont la fonction reste incertaine (biberons ou tire-lait ? Rouquet, 2003), et qui font une brève apparition durant la première partie du Bas-Empire, en particulier en milieu funéraire. Au total, six verreries à tubulures sont aujourd’hui attestées dans des tombes régionales (Lillebonne, Pîtres et Val-de-Reuil), dont trois sont associées à des monnaies de la fin du IIIe-1re moitié du IVe s. Toutes révèlent un soin évident apporté à leur fabrication : ceci peut se matérialiser par un verre bleu pur et surtout par la qualité de finition ou d’élaboration des anses, finement repliées, voire du pied lorsqu’il y en a un (cf. fig. 13).

Principales variantes de bols et de flacons de verrerie antique produits en Haute-Normandie (France) entre la fin du 3e et le 4 siècle.
Fig. 12 – Principales variantes de bols et de flacons entre la fin du IIIe et le IVe s. (© Y.-M. Adrian)
Principales formes et variantes de vases à tubulures, de bouteilles ou carafes et de vases divers de la fin 3e-4e siècle, et aperçu de la verrerie du 5e siècle en Haute-Normandie (France).
Fig. 13 – Principales formes et variantes de vases à tubulures, de bouteilles ou carafes et de vases divers de la fin du IIIeIVe s. et aperçu (partie inf.) de la verrerie du Ve s. (© Y.-M. Adrian / C. Newman)

Devant la diminution importante des formes, le répertoire de la verrerie du IVe siècle s’articule essentiellement autour de deux grands modèles dont les plus nombreux dans les dépôts funéraires comme dans les dépotoirs sont sans aucun doute les petits bols à bords coupés non rebrûlés de type Isings 96/106 ou Goethert-Polaschek 49a. Ce modèle apparaît d’une très grande homogénéité, y compris dans ses dimensions (la plupart ont entre 8 et 9 cm d’ouverture pour 6,5-7 cm de hauteur), évoquant ainsi pratiquement une standardisation (cf. fig. 12). Cette forme simplifiée de bol se complète d’une variante à bord rebrûlé, presque toujours déclinée en verre bleuté (non différenciée par Isings et assimilée au même numéro 96), qui est régulièrement rencontrée durant la période constantinienne et valentinienne (cf. fig. 12, partie supérieure). À une période plus tardive (époque valentinienne et surtout théodosienne), des petits bols Isings 96/106 à dépressions ainsi que des formes plus basses et plus évasées, à bords coupés non rebrûlés (type Goethert-Polaschek 15), tous déclinés en verre olive, font leur apparition et vont représenter une part importante de la vaisselle ordinaire durant une partie du Ve siècle, parallèlement à l’arrivée des premières formes mérovingiennes (cf. fig. 12 et 13).

Dans une proportion moindre, les flacons de type Isings 101 ou Goethert-Polaschek 78/79 constituent le deuxième grand type le plus fréquent de la vaisselle régionale du Bas-Empire. Abondant dans une série funéraire comme celle de Pîtres (27) mais connu aussi en habitat comme à Rouen, ce type de vase révèle toutefois de nombreuses variantes plus ou moins significatives, tant dans sa silhouette que dans son rebord (cf. les plus significatives sur la fig. 12). Ces verreries de fabrication souvent sommaire révèlent parfois d’abondantes filandres dans la masse, dont l’effet décoratif paraît probable.

Dans ce contexte marqué par une certaine abondance de vases en verre mais aussi par une sensible simplification des formes, seules quelques verreries plus sophistiquées se distinguent : ceci concerne surtout quelques carafes à fines anses ouvragées et décors de filets rapportés (types Isings 121/122 : cf. fig. 13), peu nombreuses dans le corpus régional mais attestées aussi bien en milieu domestique que funéraire. Outre une belle carafe de ce genre, le site de Pîtres livre également un unique petit vase rehaussé de filets13 doté de deux anses finement ouvragées, et dont le modèle ne trouve pour l’instant aucune comparaison dans les autres régions (cf. fig. 13 et photo fig. 14).

Pièces de verrerie de la fin du 3e-4e siècle de Haute-Normandie
Fig. 14 – Photographies de verreries de la fin du IIIeIVe s. : [a] bol Isings 96/106 de Pîtres (27) ; [b] bouteille Isings 127 et flacons Isings 101 de Pîtres (27) ; [c] petite fiole de Pîtres (27) ; [d] flacon de Pîtres (27) ; [e] bouteille Isings 127 de Pîtres (27) ; [f] petit vase à anses de Pîtres (27) ; [g] vase à tubulure Isings 99 de Pîtres (27) ; [h] vase à tubulure Isings 99 de Val-de-Reuil (27) ; [i] bol Isings 96 et bouteille Isings 89 d’une sépulture du IVe s. de Val-de-Reuil (27). (© S. Le Maho / H. Paitier)

Parallèlement, la verrerie réservée à la cosmétique ou bien la pharmacie a presque complètement disparu et ne subsiste qu’avec quelques rares formes très simples, évoquant des petites « ampoules » de fabrication rudimentaire (forme HN 9.16 de Sennequier, 2013) et dont pratiquement les deux seuls exemplaires véritablement attestés, provenant de Pîtres, sont présentés ici (cf. fig. 13 et photo fig. 14). Si la fragilité et la taille restreinte de ces fioles rendent délicates leur conservation et donc leur découverte, il reste toutefois certain que ce type de verrerie représente un accessoire marginal au sein des besoins courants de cette période.

L’appauvrissement sensible du répertoire de la verrerie au Bas-Empire va de pair avec la détérioration de sa technique de fabrication : les pâtes sont de plus en plus verdâtres si ce n’est franchement olivâtres à partir du dernier tiers du IVe siècle, tout en étant riches en impuretés et bulles. Cette dégradation de la matière première est traditionnellement imputée à l’emploi de verre recyclé, mélangé. Ceci est particulièrement le cas pour les petits bols à bords coupés non rebrûlés (types Isings 96/106) et pour les carafons Isings 101, simplifiés à l’extrême, et dont le verre est souvent de médiocre qualité. Notons que quelques-uns de ces derniers sont tout de même réalisés en verre bleuté classique suggérant l’utilisation d’une matière première relativement pure.

Par ailleurs, les décors sont pratiquement absents de cette verrerie régionale du Bas-Empire, quelle que soit son origine (domestique ou funéraire, rurale ou urbaine) : ils se traduisent surtout par quelques décors meulés ou gravés ainsi que par les dépressions. Au Ve siècle, quelques verreries révèlent régulièrement des filets rapportés ou bien dans la masse. Mais aucun décor de pastilles ou de cabochons colorés ni entrelacs de pâte de verre n’est à signaler dans ce corpus pourtant relativement abondant de vases tardifs. Les quelques exemplaires anciennement connus de vases à décors rapportés de couleurs restent donc de véritables exceptions (Sennequier, 2013 : types HN 4.8 et 4.13).

La verrerie du Ve siècle reste encore mal connue car elle très peu représentée en contexte funéraire et n’est pratiquement illustrée que par quelques séries domestiques de faible ampleur dont une urbaine (Rouen, « La Cathédrale ») complétée par des petits ensembles ruraux répartis en différents secteurs de la région haut normande, notamment autour d’Évreux ou bien dans la vallée de la Seine. Si les habitats révèlent une présence persistante de la verrerie, y compris en milieu rural, celle-ci semble par contre désormais pratiquement absente des tombes, à la différence de celles du IVe siècle où elles sont extrêmement fréquentes. Ainsi, seuls trois vases funéraires se signalent, dont le faible nombre est partiellement compensé par leur diversité et leurs particularités qui participent activement à la documentation de cette période. C’est également à cette dernière qu’il faut sans doute attribuer un curieux vase effilé à bord rebrûlé irrégulier, et pourvu d’un pied annulaire, découvert à Guichainville (cf. fig. 13, au centre, à droite). Sa morphologie et sa couleur olivâtre paraissent en effet le signe d’une datation tardive (fin IVe-1re moitié du Ve s. ?), que le caractère isolé de cette verrerie ne permet malheureusement pas de préciser.

De manière générale, si le répertoire rencontré durant la première moitié du Ve siècle semble ne pas beaucoup dépareiller avec celui de la 2e moitié du IVe siècle, une mutation progressive de la vaisselle s’observe au cours du Ve siècle, prémices de l’époque mérovingienne : ceci concerne les couleurs, associant de plus en plus de verres olivâtres voire brunâtres à des verres bleutés, mais surtout les formes avec l’apparition de vases effilés à bords rebrûlés, toujours rehaussés de filets gravés (?) ou rapportés, de même couleur ou de couleur différente, notamment blanche (cf. fig. 13 partie inférieure). Cette technique peut concerner des bols Isings 106 classiques, comme pour un vase funéraire de Capelle-les-Grands, au sud-ouest du département de l’Eure (fig. 13, partie inférieure), mais aussi des formes tronconiques plus effilées, tel le gobelet funéraire de Louviers ou bien certains exemplaires plus fragmentaires d’origine domestique, trouvés à Rouen (fig. 13, partie inférieure). Il s’agit là sans aucun doute des ancêtres directs des « cornets » mérovingiens, avec ou sans pied (Feyeux, 1995). S’y ajoute une très intéressante coupe à bord rebrûlé et décor moulé, découverte récemment à Val-de-Reuil (27) dans une tombe attribuable au Ve siècle14. Cette pièce à décor paléochrétien présente des motifs presque redondants pour cette période (chrismes, paons, arbres stylisés), tout en possédant la particularité d’avoir un fond lisse, dépourvu de décor. Elle complète la série remarquable des vases moulés, diffusée avec parcimonie en Gaule, dont quelques exemples étaient déjà connus dans la région ou bien aux abords (Foy et al., 2010). Complémentaire des verres gravés d’exception rencontrés en Gaule entre une partie des IVe et Ve siècles, cette verrerie de Val-de-Reuil illustre la mutation de la vaisselle en verre durant cette période marquant l’avènement du « faciès » mérovingien (forme T.81.3m de Feyeux, 1995).

IV. Les marques

Seulement une douzaine de marques accompagne ce corpus récent de verreries antiques. Sans surprise, la plupart sont attribuables aux IIeIIIe siècles, une seule se rapportant au début du Bas-Empire (marque « MM » inconnue, sur barillet ; cf. fig. 11). La majeure partie est apposée sur bouteilles, qu’elles soient carrées, rectangulaires, hexagonales ou encore cylindriques (barillets). Parmi ces dernières se distinguent quatre marques frontiniennes, toutes imprimées FRO (deux sont présentées fig. 11). Les autres marques rencontrées sur bouteilles sont plus ou moins caractéristiques : la plupart se résument à une seule lettre (B, D, P, T), parfois associée à un motif plus ou moins élaboré (cf. fig. 11). Une seule comporte deux lettres (ND) tandis qu’une seule autre fait apparaître un nom (VETAIR) associé à une initiale (T) au centre. Celle-ci provient d’un dépotoir de Rouen « Place du Général de Gaulle », bien daté du 3e quart du IIIe siècle. La plupart de ces marques sont plus ou moins largement connues en Gaule, exceptée la marque VETAIR, manifestement rare15 et jusqu’à présent mal datée (Foy et Nenna, 2006, p. 124).

Seulement deux marques ont été rencontrées sur fioles ou unguentaria, toutes deux attribuables à la fin du IIe ou au IIIe siècle (cf. fig. 11). Il y a une petite marque peu lisible correspondant à FIRM inscrit sur deux lignes au fond d’une fiole « Mercure » Isings 84, et une marque PATRIMOR VEC… associée à la silhouette d’un vase et à une couronne de lauriers sur une fiole très pansue (forme HN 9.11 : Sennequier, 2013). Deuxième exemplaire issu de la région après une découverte effectuée au XIXe siècle en Seine-Maritime, cette dernière estampille est à rapprocher des marques PATRIMONI VECTIGAL connues en différents endroits de Gaule (Foy et Nenna, 2006, p. 140-141).

Conclusion

Ce rapide tour d’horizon de la vaisselle de verre antique régionale permet de faire apparaître plusieurs points et à différents niveaux. Il ressort tout d’abord que la Haute-Normandie souffre d’un net déséquilibre quantitatif entre les séries du Ier siècle, encore peu nombreuses et somme toute peu variées, et les séries ultérieures, notamment celle des IIe et IIIe siècles. Les quelques découvertes remarquables effectuées notamment à Lillebonne, voire tout récemment à Caudebec-lès-Elbeuf16, ne peuvent faire oublier la modestie du corpus régional de verres du Ier siècle, ni sa chronologie relativement tardive, cantonnée au dernier tiers du siècle. Ceci est d’ailleurs aussi vrai pour le milieu funéraire dans lequel le verre reste rare et souvent modeste, que pour le milieu domestique qui ne paraît pas avoir toujours bénéficié de verre au quotidien, tout au moins dans une proportion autre qu’anecdotique, en particulier en ce qui concerne le service de table. Ceci semble particulièrement concerner les occupations rurales du Ier siècle dont la plupart ne révèlent aucune verrerie ou bien seulement quelques fioles très simples. Une découverte comme celle d’Heudebouville, non loin de Louviers (27), qui a livré une quinzaine de verres pour la plupart de qualité dans un même dépotoir, reste exceptionnelle et amène d’ailleurs à s’interroger sur sa signification.

Le déséquilibre qualitatif se manifeste peut-être encore plus au regard de certaines régions, notamment méridionales, où de multiples découvertes font écho de verres de qualité. Ainsi, et sans surinterpréter ces découvertes extra-régionales, le verre antique haut normand reste surtout cantonné à des vases dépourvus d’artifice. Certes, le matériau connaît progressivement un développement indéniable dans la vie quotidienne et dans les pratiques funéraires, notamment entre les IIe et IIIe siècles, mais il concerne le plus souvent des vases de stockage et de conditionnement, voire de service (pots et bouteilles). Dans ces conditions, l’éventail pourtant relativement varié de la vaisselle de table reste bien modeste, et surtout, comporte beaucoup de vases peu sophistiqués. S’y distinguent un certain nombre de spécificités, notamment morphologiques, qui paraissent pour certaines représenter les signatures d’ateliers locaux accompagnés sans doute d’importations lointaines, dont peut-être de Rhénanie.

Cette situation se prolonge au Bas-Empire qui connaît un développement accentué du verre, s’apparentant à une vraie vulgarisation, accompagné d’une simplification des formes comme des techniques de fabrication. Tel qu’il est composé, le répertoire régional du verre romain tardif ne fournit qu’un écho assez faible à celui rencontré dans d’autres régions de Gaule, que ce soit en Picardie (Dilly et Mahéo, 1997 ; Henton et al., 2008), en Île-de-France (Gonçalves et al. 2008), en Rhénanie (Goethert-Polaschek, 1977), ou bien en Narbonnaise voire en Aquitaine (Foy et al. 2001 ; Foy et Hochuly-Gysel, 1995). Mais il faudra attendre un certain temps avant de pouvoir fournir une explication de toutes ces disparités qui ne peuvent sans doute pas être toutes imputées à des aspects économiques.

Yves-Marie Adrian

Bibliographie élémentaire

Adrian (Y.-M.), 2002. « La céramique et le petit mobilier domestique du Bas-Empire et du Haut Moyen Âge (IVeVIIIe s.) dans la région d’Évreux (Eure) : première approche », Revue Archéologique de l’Ouest n° 19, p. 171-218.

Adrian (Y.-M.), 2007. « Céramiques et verreries des IVe et Ve siècles dans la basse vallée de la Seine : des exemples issus de Rouen, Lillebonne, Caudebec-lès-Elbeuf, Tourville-La-Rivière (Seine-Maritime), Pîtres et Poses (Eure) », Diocesis Galliarum, Document de travail n° 7 (Van Ossel et Ouzoulias, dir.). p. 331-389.

Adrian (Y.-M.), 2011. « La céramique et la verrerie du Bas-Empire chez les Aulerques Eburovices : panorama en milieu rural », dans Les céramiques de l’antiquité tardive en Île-de-France et dans le bassin parisien. Vol. II : Synthèses, Diocesis Galliarum, Document de travail n° 9 (Van Ossel, dir.), p. 135-161.

Berthelot (S.), 1992. « La verrerie gallo-romaine tardive et mérovingienne (IVeVIIe s.) du musée de Normandie (Caen, Calvados) », Revue Archéologique de l’Ouest n° 9, 1992, p/ 161-169.

Dilly (G.), Mahéo (N.), 1997. Verreries du musée de Picardie, Amiens, 1997.

Dutoo (D.), Cabart (H.), Chossenot (M.), Paresys (C.), 2008. « Étude de la nécropole gallo-romaine de Lavau (Aube), lieu-dit « Les Petites Corvées », zone funéraire de la transition âge du bronze – âge du fer jusqu’au IVe s. de notre ère », Bulletin de la Société Archéologique Champenoise (t. 101), Épernay, 2008, n° 4.

Feyeux (J.-Y.), 1995. « La typologie de la verrerie mérovingienne du nord de la France », Le verre de l’Antiquité tardive et du Haut Moyen Âge. Typologie-Chronologie-Diffusion, Association Française pour l’Archéologie du Verre-Musée Archéologique Départemental du Val d’Oise, p. 109-137.

Foy (D.), 1995. « Le verre de la fin du IVe au VIIIe siècle en France méditerranéenne : premier essai de typo-chronologie », dans Le verre de l’Antiquité tardive et du Haut Moyen Âge. Typologie. Chronologie. Diffusion. Association Française pour l’Archéologie du Verre. Colloque de Guiry-en-Vexin, 1993, MADVO, 1995, p. 187-242.

Foy (D.), Hochuli-Gysel (A.), 1995. « Le verre en Aquitaine du IVe au IXe siècle, un état de la question », dans Le verre de l’Antiquité tardive et du Haut Moyen Âge. Typologie. Chronologie. Diffusion, AFAV (Association Française pour l’Archéologie du Verre), Colloque de Guiry-en-Vexin, 1993 ; MADVO : 1995, p. 151-176.

Foy (D.) (dir.), 2001. Tout feu tout sable. Mille ans de verre antique dans le midi de la France, Musée d’Histoire de Marseille, 2001.

Foy (D.), Nenna (M.-D.), (dir.), 2006. Corpus des signatures et marques sur verres antiques, tomes 1 et 2, Association Française pour l’Archéologie du Verre, 2006.

Goethert-Polaschek (K.), 1977. Katalog der römischen Gläser des Rheinischen Landesmuseums Trier, Verlag Philipp von Zabern, Mainz am Rhein, 1977.

Gonçalves-Buissart (C.), Lawrence-Dubnovac (P.), Le Forestier (C.), 2008. « Présentation de deux nécropoles à inhumations du Bas-Empire fouillées récemment », Revue Archéologique d’Ile de France, tome 1, 2008, p. 227-254.

Henton (A.) et al., 2006. « La nécropole du Bas-Empire du « Marais de Dourges » à Dourges (Pas-de-Calais) », dans Dilly (dir.), Sept nécropoles du Bas-Empire dans le Pas-de-Calais, Nord-Ouest Archéologie n° 14, 2006, p. 203-253.

Isings (C.), 1957. Roman Glass from dated finds, J. B. Wolters. Groningen, Djakarta, 1957.

Rouquet (N.), 2003. « Les biberons, les tire-lait ou les tribulations d’une tubulure peu commune… », dans D. Gourevitch, A. Moirin et N. Rouquet (dir.), Maternité et petite enfance dans l’antiquité romaine (Catalogue de l’exposition, Bourges, nov. 2003-mars 2004), éditions de la ville de Bourges, Service d’Archéologie Municipal, p. 165-170.

Rütti (B.), 1991. Die römischen Gläser aus Augst und Kaiseraugst. Römermuseum Augst, Fosrschunden in Augst, Band 13/2, 1991.

Sennequier (G.), 1985. Verrerie d’époque romaine, Collections des Musées départementaux de Seine-Maritime, 1985.

Sennequier (G.), 2013. La verrerie romaine en Haute-Normandie. Monographie instrumentum n° 45, Ed. Monique Mergoil / Verre & Histoire, 2013 (374 p. et 32 pl.).

Simon-Hiernard (D.) (dir.), 2000. Verres d’époque romaine. Collection du musée de Poitiers, Musées de la ville de Poitiers et de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 2000.

Figures

Notes

1.  ↑  Fouille de J. Boisson, étude de S. Lelarge (Archéopole), 2012.

2.  ↑  En dehors de quelques découvertes rurales anciennes, étudiées par G. Sennequier, les découvertes récentes de ce genre de verrerie se limitent uniquement à quelques exemplaires rouennais, dont tout récemment « rue aux Ours » (resp. B. Guillot, INRAP, 2009).

3.  ↑  Fouille de D. Lukas (INRAP, 2010). Ce site a d’ailleurs également livré une probable boule ou sphère à parfum en verre feuilleté vert pomme /blanc, unique exemplaire récemment répertorié dans la région depuis les trouvailles du XIXe siècle.

4.  ↑  Opérations de F. Kliesch (INRAP), 2010 et 2011. Études de L. Féret (INRAP).

5.  ↑  Il est à distinguer d’un récipient découvert à Caudebec-lès-Elbeuf au XIXe s. et publié par G. Sennequier en 2013 (forme HN 16.5 ; p. 193).

6.  ↑  Fouille de M.-C. Lequoy (SRA de Haute-Normandie), 1976-88. Étude du verre par G. Sennequier.

7.  ↑  Fouille du monument des eaux. Resp. L. Guyard (MADE), 1996-99.

8.  ↑  Opus cité (2013), p. 195.

9.  ↑  Notamment un vase assez similaire découvert anciennement à Harfleur, près du Havre (Sennequier, 1985).

10.  ↑  Fouille de C. Maret (INRAP) en 2009.

11.  ↑  Aucune bouteille ni fiole n’est attestée après l’époque constantinienne.

12.  ↑  Cette bouteille Isings 127 a en effet été trouvée associée à deux monnaies de Constantin dans la tombe 138 de Pîtres « La Remise » (resp. E. Mare, INRAP, 2010. Étude de l’auteur).

13.  ↑  Vase également découvert associé à deux monnaies de Constant ou Constantin Ier (tombe 190 de Pîtres « La Remise », resp. E. Mare, INRAP, 2010).

14.  ↑  Tombe 196 du site du « Cavée » (à ne pas confondre avec le site de « La Comminière » largement utilisé pour cette étude). Fouille C. Newman (Chronoterre), 2011.

15.  ↑  Un seul exemplaire était connu jusqu’à présent à Ognon (Oise). La marque y était par ailleurs partiellement lisible.

16.  ↑  Resp. L. Jégo / M. Texier (INRAP). Étude en cours par L. Simon (INRAP).

Related Posts