Quelques flacons de la verrerie de Tourouvre, début du 20e siècle (voir figure 4)

L’Orne en verre, du Moyen Âge à la crise des années trente

Depuis le XVe siècle, il y a eu dans l’Orne une cinquantaine d’établissements dont une moitié était inconnue avant l’exposition « L’Orne en verre », présentée aux Archives départementales de l’Orne du 11 mars au 16 juin 2013.

Très vite, les maîtres verriers ont recours à de la main-d’œuvre italienne mais d’autres viennent d’Argonne, d’Auvergne, du Centre, du Maine, du Poitou, etc. Au XVIIe siècle dans les verreries de Courtomer et de La Cochère, on fabrique notamment des flacons, en verre « de Chine », aux décors émaillés polychromes. De nouvelles verreries prospèrent au siècle suivant. Lors de la Révolution, le séquestre de l’une d’elles nous permet de connaître sa production : deux cent mille verres dont des rouleaux (en particulier pour contenir de l’eau de mélisse), des fioles à médecine en verre blanc ou vert et des « fioles à femme ». Au XIXe siècle ne subsistent que six verreries qui produisent alors essentiellement des verres « communs et ordinaires » et à profusion « des petites bouteilles à l’usage des confiseurs, des distillateurs et des pharmaciens ». Presque toutes ces verreries sont dirigées par la famille Bourgeois, et plus particulièrement par Auguste Bourgeois qui fut formé à la verrerie de Courval, aujourd’hui encore leader mondial du flaconnage de luxe.

Glass in the Orne Department,
from the Middle Ages till the 1930’s Industrial Crisis

The exhibition “L’Orne en verre”, which took place at the Orne archives from March 11th till June 16th 2013 was the occasion to rediscover at least half of the fifty glassworks which were operating in that area since the 15th Century. The workforce came from Italy, Argonne, Auvergne, Centre, Maine, Poitou… During the 17th Century, polychromic enameled flasks in “China glass” were produced at the glassworks of Courtomer or La Cochère. Also from one of these glassworks, an escrow account from the revolutionnary period gives us a rare glimpse on the production: 200,000 glass bottles, for “eau de Melisse”, medical vials in white or green glass and figured glass. At the end of the 19th Century, only six glassworks are left, producing mostly common glass, “little bottles for confectioners, distillers and chemists”. The Bourgeois familly, and Auguste Bourgeois in particular who had learnt his trade at the Courval glasswork – still a world leader in luxury glass products, had a prominent role in this trade.

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Reflet du poster présenté lors du colloque Flacons, fioles et fiasques, ce court article est un bref exposé de l’exposition alors présentée aux Archives départementales (L’Orne en verre, 11 mars-16 juin 2013).

Il a été publié dans Flacons, fioles et fiasques. De l’Antiquité à nos jours. Les Cahiers de Verre & Histoire no 3, Actes du troisième colloque international de l’Association Verre & Histoire, Rouen-Vallée de la Bresle, 4-6 avril 2013, Carré A.-L. et Lagabrielle S. (dir.), Paris : Éd. Verre & Histoire, mai 2019, p. 213-216.

L’ouvrage fondateur de Le Vaillant de la Fieffe sur les verreries de la Normandie, publié en 1873, fait une large place à la verrerie ornaise, l’un des grands centres verriers du Nord-Ouest de la France. Mais l’histoire de ces verreries et de leur production restait mal connue, faute d’étude approfondie. Reflet du poster présenté lors du colloque Flacons, fioles et fiasques, ce court texte n’est qu’un bref exposé de l’exposition alors présentée aux Archives départementales (L’Orne en verre, 11 mars-16 juin 2013).

Vue de l'exposition "L’Orne en verre" présentée aux Archives départementales de l'Orne du 11/03 au 16/06/2013.
Fig. 1L’Orne en verre : exposition présentée aux Archives départementales, du 11 mars au 16 juin 2013. (Cliché Arch. dép. Orne)

L’Orne est le lieu privilégié de la saga de deux grandes familles verrières de l’Ouest, les Brossard et les Mésenge, qui bénéficient de la forte mobilité d’ouvriers qualifiés, assurant ainsi la circulation des techniques avec les plus grands centres verriers de France (Baccarat, Le Creusot, Orléans, Paris, Saint-Gobain) mais aussi avec Altare et Venise. Le développement de la production après la Révolution est redevable aux industriels qui emploient alors une main-d’œuvre plus nombreuse pour répondre à la demande des marchés extérieurs : principalement Caen, Rouen et Paris.

Le dépouillement de sources d’archives inédites a permis d’identifier les verreries jusqu’ici inconnues, d’approfondir la connaissance de l’histoire de la quarantaine de sites recensés et de caractériser leur production. La première partie de l’exposition évoque cette histoire après un rappel des techniques verrières. La seconde permet au public d’admirer plus de trois cents pièces en verre, le plus important ensemble jamais présenté dans la région.

Vue de l'exposition L'Orne en verre, divers objets utilitaires et décoratifs de verre, 2013
Fig. 2L’Orne en verre : une partie des objets exposés. (Cliché Arch. dép. Orne)

Flacons, fioles et fiasques

À la fin du XVIIe siècle, Jean Louisfert, un marchand de verres de Neuilly-sur-Eure – par ailleurs membre de la communauté des maîtres marchands verriers, émailleurs, faïenciers, couvreurs de flacons et bouteilles en osier de Paris – obtient d’importants contrats avec plusieurs verreries de la généralité d’Alençon.

Petit flacon de verre soufflé opalin à décor émaillé polychrome du début du 18e siècle, France
Fig. 3 – Flacon. Verre soufflé opalin à décor émaillé polychrome, attribué aux successeurs de Perrot, 1717. Collection privée. (Cliché Musée historique et archéologique de l’Orléanais)

Les troubles de la Révolution française n’épargnent pas les anciens privilèges de la noblesse : ainsi à la demande du directoire du district d’Argentan, la verrerie de La Cochère est mise sous séquestre. Les entrepôts renferment alors près de deux cent mille verres de toutes sortes. Plus des trois quarts sont à usage alimentaire, le reste à usage médico-pharmaceutique. S’y trouvent notamment : des bouteilles (8 500), des brocs (300), des carafes (2 500), des topettes (2 000) de différentes couleurs et tailles ; des flacons à dragées (4 000) ; des « bavaroises » (200) et des seaux à bières (400) ; des rouleaux (flacons de forme cylindrique) de diverses contenances (12 000), dont dix mille sont destinés à contenir de l’eau de mélisse ; des fioles à médecine en verre blanc (2 500) ou vert (1 500) ; des bocaux à apothicaires (200) et des fioles « à femmes » (60) !

Échantillon de la production de la verrerie normande de Tourouvre au début du 20e s. : flacons et fioles de verre blanc, bleuté ou jaune, dont un petit flacon pour la poudre Vichy, montrant la place croissante des verres à usage médico-pharmaceutique dans l'industrie verrière du début du 20e siècle en France
Fig. 4 – Flacons. Verrerie de Tourouvre, début du XXe siècle. (Collection privée, cliché Arch. dép. Orne)

Au cours des XIXe et XXe siècles, les manufactures ornaises fabriquent essentiellement du flaconnage. Le verre domestique est représenté par de la bouteille souvent calibrée et parfois clissée, des bocaux à conserves et des pots à confiture. Les statistiques industrielles attestent de la place grandissante des verres à usage médico-pharmaceutique : flacons, fioles et fiasques de toutes tailles et de toutes couleurs. On voit alors apparaître des contenants sur lesquels le nom de l’élixir et/ou du producteur est marqué en relief. À L’Hôme-Chamondot, Saint-Évroult-Notre-Dame-du-Bois, Tanville et Tourouvre, on fabrique des flacons pour les marques suivantes : « Alcool de menthe / Ricqlès », « Avranine / D. Avrakhoff », « Hemostyl / Deroussel », « L. T. Piver », « Nuclearsitol / Robin », « Phosphate de fer / Legras », « Quintonine / Helin », etc. L’industrie chimique génère des formes encore plus spécialisées. Quant à la parfumerie, qui depuis longtemps a confié au verre ses précieuses essences, elle a dans l’Orne un illustre promoteur : Auguste Bourgeois, qui officie dans plusieurs verreries et qui avait fait son apprentissage à la verrerie du Courval, aujourd’hui encore leader mondial du flaconnage de luxe !

4 flacons de la verrerie normande de Saint-Évroult-Notre-Dame-du-Bois (Orne, France), début 20e s.
Fig. 5 — Flacons. Verrerie de Saint-Évroult-Notre-Dame-du-Bois, début du XXe siècle. (Collection privée, cliché Arch. dép. Orne)

Matthieu Le Goïc et Odile Leconte

Figures

Voir aussi