Une ampoule de verre de l'époque romaine, détail

Contenants et contenus : les flacons liés aux fards à l’époque gréco-romaine

Les fouilles des tombes de la période gréco-romaine éclairent les usages de produits cosmétiques en fournissant des récipients parfois encore partiellement remplis. Les analyses chimiques des résidus démontrent la complexité des matières qui étaient employées et la diffusion des produits, des recettes et des ustensiles.

Certains des objets de toilette relèvent d’une véritable industrie du luxe et, dans le domaine du verre, des ateliers ont produit les contenants de fards, parfums et d’onguents tant sur le pourtour de la Méditerranée que dans l’ensemble du territoire romanisé, jusqu’à la vallée du Rhin. Les découvertes de la région de Cologne et de Trèves donnent la mesure de la beauté des vases produits et la recherche d’un certain exotisme. Nous nous interrogerons ici sur le lien qui pouvait exister entre les formes des récipients et les fards qu’ils contenaient ainsi que sur les aspects pratiques permis par la mise en forme des objets en verre.

Containers and Contents: Vessels with Cosmetics During the Greco-Roman Period

The excavations of Greco-Roman tombs reveal the uses of cosmetics as they unveil containers still partially filled. The chemical analysis of these traces show the complexity of substances which were used, as much as the dissemination of products, formulas and vessels.

Some of these toiletry objects are real luxury goods and, concerning glass, workshops produced containers for cosmetics, perfumes and ointments all around the Mediterranean sea and in the whole of the Roman territory as far as the Rhine valley. Findings in the Cologne and Trier regions reveal the beauty of these vases and a taste for exoticism. Our subject will be the link between the vessels’ shape and the nature of the cosmetic it contained, as well as the practical use of these glass objects.

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Cet article a été publié dans Flacons, fioles et fiasques. De l’Antiquité à nos jours. Les Cahiers de Verre & Histoire no 3, Actes du troisième colloque international de l’Association Verre & Histoire, Rouen-Vallée de la Bresle, 4-6 avril 2013, Carré A.-L. et Lagabrielle S. (dir.), Paris : Éd. Verre & Histoire, mai 2019, p. 27-34.

Archéologue, physicien et chimiste de formation, Philippe Walter s’est spécialisé dans l’étude des matériaux pour mieux cerner les techniques et évolutions des sociétés anciennes. Il est notamment à l’origine d’une compréhension renouvelée de la cosmétique antique. Il est actuellement directeur de recherche CNRS, directeur du Laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale (LAMS) et co-directeur de l’Observatoire des Patrimoines de Sorbonne Université.

Introduction

L’usage de produits cosmétiques était important pour les Grecs et les Romains. De nombreux instruments tels que des spatules, des tissus, des éponges, des pierres ponces, des rasoirs, des pinces à épiler, des strigiles, des peignes, des pyxides, des vases, des miroirs, etc. servaient pour la toilette et le maquillage. La préparation du corps et du visage, relevant de l’hygiène corporelle, précédait généralement l’application du fard. On distinguait ainsi la « commôtique », dont le but est de produire une beauté acquise, de la cosmétique, qui vise à conserver tout ce qui est naturel dans le corps (Boudon, Millot, 2013). L’art de la toilette était considéré comme une pratique noble, très importante et proche de la pharmacie et de la médecine car les soins de la peau permettaient de préserver la beauté naturelle à l’aide de crèmes, de pommades et d’onguents parfois sophistiqués. L’art de se farder, celui du maquillage était plus décrié car il proposait d’arranger le visage artificiellement et de lui conférer un éclat qu’il n’a pas au naturel. L’idéal de la beauté était ainsi fondé sur un contraste marqué entre les différentes couleurs présentes sur le visage. Le blanc recouvrait de façon uniforme le visage et lui apportait la luminosité et l’éclat ; les sourcils tracés en noir pouvaient être longs pour faire paraître le front plus petit ; le rouge des joues et des lèvres rehaussait alors l’ensemble. De nombreuses variétés de produits furent élaborées pour la réalisation de ces onguents et ces fards.

Les observations de la forme et de la matière des récipients liés à ces activités de toilette permettent de mieux comprendre leurs usages et pourquoi ils étaient conçus pour stocker ou employer une formule solide ou liquide. Nous limiterons cet article à l’étude de quelques types d’objets qui conservent encore une partie au moins des fards (poudres colorées) qu’ils contenaient et qui ont pu être caractérisés le plus souvent par des analyses physicochimiques menées ces dernières années.

La mise en place de formes spécifiques en pierre et en céramique

De premiers éléments permettant d’associer forme et fonction d’un vase à fard ou à onguent apparaissent dans l’Égypte pharaonique. Les flacons contenant le fard noir, le khôl utilisé pour noircir le contour de l’œil, prennent en effet une forme caractéristique dès le Moyen Empire : ils sont, le plus souvent, de petite dimension (moins de 10 cm de haut), en pierre (albâtre, hématite, marbre), avec un col resserré et un bord très large et plat. Cette forme semble avoir été conçue pour stocker une poudre minérale pouvant être mélangée juste avant son emploi avec un liant sur les lèvres de l’objet, comme on le faisait sur une palette de pierre durant l’époque prédynastique égyptienne. La cavité interne de ces objets a parfois été retrouvée obstruée par un couvercle maintenu par un tissu de lin ; des bouchons d’étoffe servaient dans d’autres cas à maintenir la poudre au fond du récipient (Vandier d’Abbadie, 1972). D’autres flacons en forme de tube, similaires aux précédents mais sans cette fonction de palette, ont été façonnés à partir du Nouvel Empire dans des matériaux plus variés, en roseau, os, ivoire, bois ou céramique recouverte d’une glaçure colorée. C’est également à cette époque que l’on voit apparaître des formes en verre millefiori comme de petites jarres et des amphores à anses ainsi que des étuis à khôl en forme de colonne palmiforme.

La couleur des fards égyptiens stockés dans ces récipients était limitée à une palette restreinte, avec la dominance des teintes blanches, grises et noires. Leurs analyses ont montré l’existence de mélanges complexes, associant un pigment noir, la galène (sulfure de plomb) à trois autres ingrédients, la cérusite (carbonate de plomb blanc), d’origine naturelle et identique à celle de la galène, ainsi que deux composés de plomb et de chlore, la laurionite et la phosgénite, d’origine artificielle et employés d’après nos recherches pour ajouter des propriétés médicales aux fards (Walter, 1999 et 2002). On comprend alors mieux l’apparition de boîtes à fards dotées de multiples compartiments. Celle ayant appartenu à Ahmose de Peniati (Égypte, XVIIIe dynastie) en présente cinq dont quatre sont associées à des inscriptions précisant des conditions d’utilisation saisonnières (Brovarski et al., 1985) : « bon pour chaque jour, du premier au quatrième mois de l’inondation, du premier au quatrième mois d’hiver, du premier au quatrième mois d’été » (British Museum, EA 5337).

Les flacons à fard produits durant l’époque grecque classique et hellénistique montrent aussi une variété de formes. L’étude des sépultures de Thèbes en Phthiotide et de Démétrias (cimetière Nord), en Grèce, nous indique l’existence de quelques catégories de vases en céramique, employées durant l’époque hellénistique pour contenir des produits de maquillage de couleur blanche ou rose (Walter et al., 2006). Il s’agit en premier lieu de pyxides en terre cuite, de petites dimensions (5 cm environ de haut), en forme de fuseau et à couverture plate. Ainsi la pyxide à fond noir A11 est entièrement remplie de fard blanc, compact, en excellent état de conservation, bien que le couvercle de l’objet ait disparu (Welcomme et al., 2006). Elle provient d’une urne en terre cuite avec une couverture en céramique, datant de la fin du IVe ou du début du IIIe siècle avant notre ère (tombe 3 du terrain Tokalis, dans la nécropole Est de Thèbes en Phtiotide) et a été trouvée en même temps que d’autres offrandes qui accompagnaient deux adultes. Un autre exemple de pyxide en céramique (BE15544) nous est fourni par la tombe à fosse n° 396 de la nécropole Nord de Démétrias, datée de la fin du IVe siècle avant notre ère et contenant le squelette relativement mal conservé d’une personne de 1,60 m. La boîte est ici presque totalement remplie d’une poudre blanche et compacte qui a été préservée d’autant mieux qu’un couvercle ajusté est toujours présent [fig. 1a]. La partie supérieure du contenu est de forme concave, portant les traces des gestes du doigt qui permettait de prélever un peu de poudre avant de l’appliquer sur le visage.

La tombe 439 de la même nécropole de Démétrias, couverte par un toit en tuile et datée de la fin du IIIe siècle avant notre ère, nous fournit un exemple d’une seconde forme employée pour contenir des fards. Il s’agit d’un lekanis (BE22624) contenant des petits blocs de poudre blanche ou rose. Le produit rose est sous la forme de fragments de pastilles de 20 mm de diamètre au maximum. Les blocs blancs plus ou moins dispersés ont été associés au pigment rose. Le lekanis n’est donc pas rempli de poudre tassée dans sa cavité, comme c’est le cas pour les pyxides précédentes, mais il contient des blocs de pigments le plus souvent moulés en forme de pastille. D’autres lekanis contenant des pastilles de 27 à 29 mm de diamètre ont été retrouvées dans plusieurs autres sites grecs, à Athènes, Éleusis, Tanagra, Derveni (Bardiès et al. 2009, pp. 128-131). Il s’agit dans ces différents cas de boîtes en céramique similaires, à couvercle bombé et ajusté, plus large que haut, dépassant rarement 10 centimètres de hauteur. Les analyses chimiques montrent qu’il s’agit de pigment blanc de plomb, un carbonate de plomb synthétique. La masse de chaque pastille est sensiblement identique : on peut donc penser que les ateliers de production de blanc de plomb ont pu rechercher une certaine standardisation pour la commercialisation de leurs produits, fournis sous forme solide et stockés dans ces formes ouvertes. Ces pastilles ont une face bombée, une autre incurvée et des craquelures de séchage sont parfois présentes à leur surface, autant d’éléments qui montrent que leur mise en forme a dû être réalisée en versant une matière liquide ou pâteuse dans des moules avant de les laisser sécher à l’air.

L’exemple de la tombe 24 du cimetière du Céramique attribuée à Makaréus, jeune acteur et poète (IVe siècle avant J.‑C.) montre finalement la coexistence des deux formes (Knigge, 1988). Cette tombe contenait le squelette d’un jeune homme et de nombreuses offrandes réparties autour du défunt, parmi lesquelles une pyxide en marbre, deux pyxides en céramique, deux lekanis, sept alabastrons, un miroir, des petites figurines d’animaux… Les deux lekanis, de style corinthien, sans décoration, ont été découverts remplis de pastilles de fard blanc alors qu’une troisième boîte, une pyxide, était remplie d’une poudre rose constituée d’un mélange de cinabre rouge et de blanc de plomb.

De l’évolution des formes en pierre et en céramique aux flacons scellés en verre

Nous avons commenté l’existence de quelques formes employées pour le stockage des fards. D’autres objets ont été associés aux onguents et aux parfums dès le Nouvel Empire égyptien. Il s’agit en particulier des vases en millefiori, moulés sur noyau, adoptés par les Grecs vers 500 avant notre ère. Dès lors, leur diffusion vers le monde occidental, de l’Italie à la Gaule et à l’Espagne fut très large.

Si l’on s’en tient encore uniquement aux formes pour les fards, la typologie devient bien plus large à l’époque romaine. La pyxide reste employée, mais elle peut être façonnée dans d’autres matières et être richement décorée, comme une pyxide en os avec bouchon d’or découverte à Olbia, Sardaigne et conservée au Musée de Cologne [fig. 1b]. Mise au jour à Londres sur les bords de la Tamise, une autre pyxide, cette fois en étain, est remplie d’une crème blanche sur laquelle on peut encore voir une empreinte digitale (IIe siècle de notre ère, London Museum). L’analyse chimique indique qu’à environ 80 %, la crème était composée d’un mélange d’une matière grasse d’origine animale et d’une matière riche en amidon, issue du traitement de racines ou de graines dans de l’eau bouillante (Evershed et al., 2004). Le reste de la matière correspond à des grains d’oxyde d’étain qui donnent la couleur blanche à la crème. La reconstitution de cette recette a montré que sa texture était agréable lorsqu’on la faisait pénétrer dans la peau. L’odeur de départ, grasse, disparaît rapidement derrière la douceur de la crème. Sa couleur blanche peut faire penser qu’elle était utilisée comme fond de teint.

Pyxide emplie de fard blanc, Démétrias, Grèce antique
Fig. 1 a – Pyxide remplie de fard blanc provenant de Démétrias, Grèce, fin IVeIIIe siècle avant notre ère, H. 5 cm. Musée de Volos, inv. BE15544. (Cliché Ph. Walter)
Pyxide en os avec décoration en or, Olbia, Sardaigne, époque romaine
Fig. 1 b – Pyxide en os avec décoration en or, Olbia, Sardaigne, époque romaine, H. 2,7 cm. Römisch-Germanischen Museum de Cologne, inv. 43,57. (Cliché Ph. Walter)

Toutes les formes commentées jusqu’à présent sont ouvertes. Un autre type de flacon à col resserré se retrouve avec des formes très élégantes en verre soufflé telle cette amphorisque [fig. 2] découverte obstruée par un bouchon argileux au niveau du col lors de fouille sur le site de Wederath (Rheinische Landesmuseum Trier [Trèves]), sur les bords de la Moselle. Elle faisait partie d’un ensemble déposé dans une tombe à incinération du Ier siècle au milieu d’autres objets de toilette (Goethert-Polaschek, 1982). Ses parois internes sont encore recouvertes du dépôt d’un fard rose dont l’analyse a montré qu’il s’agissait d’un pigment laqué, c’est-à-dire un colorant organique déposé sur une charge minérale blanche. Le colorant rouge appartient la famille des anthraquinones présentes à l’état naturel dans certaines plantes, notamment la garance. D’autres objets sont des variantes du même type. Il s’agit par exemple de vases en forme de datte (Olbia, Ier siècle ; musée de Cologne) ou de poisson (British Museum, IIIe siècle) mais dont l’usage est aujourd’hui indéterminé. Ils pouvaient tout aussi bien contenir des poudres colorées non liées par un liant que des liquides.

Amphorisque, Wederath, Allemagne, Ier siècle, verre, époque gallo-romaine
Fig. 2 – Amphorisque, Wederath, Allemagne, Ier siècle, verre, H. 17,9 cm (Trèves, Landesmuseum, inv. 59,171 d). (Cliché Ph. Walter)

Les vases en forme d’oiseau avec une longue queue conique (type Isings 11) témoignent également d’une volonté de présentation esthétique et symbolique qui peut être associée à un côté pratique pour le transport [fig. 3]. Ils pouvaient être scellés lors de leur fabrication afin d’être commercialisé à plus ou longue distance puis leur queue était cassée pour pouvoir en extraire la poudre. Ces formes ont été réalisées par soufflage grâce à la malléabilité remarquable du verre en fusion et à l’imagination d’artisans. De tels objets ont été parfois retrouvés encore partiellement rempli par des fards colorés. Leur forme peut correspondre à celle d’une colombe ou d’un pigeon, deux oiseaux associés à la déesse Aphrodite et à la beauté féminine. Ils peuvent avoir une longueur atteignant 25 cm et une hauteur généralement comprise entre 8 et 12 cm. Nous avons analysé les contenus de quatre des cinq flacons en forme d’oiseau conservés au musée du Louvre et provenant de la collection Campana (numéros d’inventaire Cp 9051, S 5905, S 5902, S 5903, S 5904). Ils sont probablement datés du Ier siècle après J.‑C. et proviennent d’Italie. L’un d’entre eux, en verre rose, contient du bleu égyptien. Un second, en verre rouge, préserve des traces d’une matière plus hétérogène, principalement constituée par de l’ocre rouge, mais incluant aussi quelques grains d’oxyde de plomb. Le troisième flacon, transparent, contient une matière blanche constituée essentiellement de gypse. Le quatrième, en verre de couleur rose clair, contient un sulfate d’aluminium de couleur blanche, sans doute de l’alun, ainsi qu’un peu d’argile blanche. Les composés d’aluminium étaient employés comme supports inorganiques fixant des molécules colorantes lors de la fabrication de pigments laqués. Ici on peut penser que, comme pour les trois autres exemples, la couleur du contenant est à mettre en relation avec la couleur originelle du produit contenu et que la poudre a perdu sa teinte rose au cours du temps. Il pourrait alors s’agir d’un pigment laqué fabriqué avec des extraits d’orcanette ou d’orseille dont l’emploi est décrit dans l’Antiquité pour fabriquer des pigments roses à violacés, mais dont les molécules colorantes sont connues comme pouvant se dégrader au cours du temps, notamment à la lumière.

Deux autres flacons du même type ont été découverts lors des fouilles de la tombe B de la Porta Stabia à Pompéi (inv. 86711 et 86713). Ils sont en verre transparent et contiennent tous deux de la poudre de gypse, sous la forme d’une masse particulièrement abondante et d’un blanc intense et brillant dans l’un d’entre eux [fig. 3]. La matière est assez friable et collante. L’échantillon prélevé contient également un petit copeau métallique à reflets dorés et rougeâtres à certains endroits. L’analyse élémentaire révèle qu’il s’agit de bronze, provenant sans doute de l’outil qui servait à préparer la poudre avant de se maquiller. Des instruments métalliques de toilette, à fine tige terminée par un renflement en forme d’olive d’un côté et d’une spatule lancéolée de l’autre, sont souvent retrouvés associés à des flacons à fard et à des palettes en pierre. La partie renflée permet de réduire le fard en poudre fine, la spatule de les mélanger et de les appliquer sur le visage.

Vase en forme d’oiseau découvert à Pompéi
Fig. 3 – Vase en forme d’oiseau découvert lors des fouilles de la tombe B de Porta Stabia (inv. 86711), Pompéi, Italie. (Cliché Ph. Walter)

D’autres analyses ont été réalisées par d’autres auteurs pour préciser la nature des contenus de vases similaires. Citons quatre objets conservés au musée de Thessalonique et qui contiennent des matières bleues, rouges et roses composées respectivement de bleu égyptien, d’hématite et d’un pigment laqué de garance (Antonaras, 2009), ainsi que douze vases en verre bleu clair ou vert, conservés au Museum Het Valkhof à Nijmegen (Pays-Bas) et contenant du gypse et/ou de la calcite (Hottentot et van Lith, 2006). Un objet similaire découvert à Knossos (Grèce) contenait une ocre rouge (Carington-Smith, 1982) et d’autres provenant de Xanten (Allemagne) du gypse et des pigments laqués (Hinz, 1984). Du gypse mélangé à de la calcite et teinté par de l’hématite rouge a également été retrouvé dans un flacon similaire en verre transparent découvert dans la colonie romaine espagnole de Celsa (Perez-Arantegui et al., 1996). Nous voyons donc que les matières et les couleurs contenues dans ces vases sont limitées à une palette de blanc, rose, rouge et bleu.

L’étude détaillée des découvertes effectuées à Thessalonique par Anastasios Antonaras (2009) a permis de montrer que ces flacons étaient souvent placés dans les tombes par paire ou parfois plus et étaient associés à des unguentaria sphériques (forme Isings 10) sur lesquels nous reviendrons par la suite. Ces objets faisaient partie de la trousse de toilette et contenaient les différentes couleurs nécessaires au maquillage du visage. Certains commentaires sur ces pratiques nous indiquent bien l’emploi du blanc pour donner plus d’éclat et de blancheur à la peau. Des taches rouges étaient ensuite appliquées sur ce fond de teint, à la hauteur des pommettes. Les yeux pouvaient également être fardés avec du noir de suie (présent dans des flacons d’autres formes) et du bleu.

L’occurrence fréquente du gypse dans ces objets de l’époque romaine est cependant relativement surprenante car son usage comme fard n’est que très peu commenté dans les textes, au contraire de la céruse à base de plomb. Les Grecs désignaient par le mot gypsos le plâtre, obtenu par chauffage du gypse, et employé pour le bâtiment. Plusieurs textes latins sur la toilette mentionnent l’utilisation de creta comme fard blanc et on peut penser qu’une confusion a pu exister entre la craie et le gypse. Cette présence du plâtre peut faire écho à cette caricature dans le Satiricon de Pétrone (Sat., XXIII, traduit par Louis de Langle) : « À travers son front suant coulaient des ruisseaux de fard et les rides de ses joues étaient si pleines de blanc qu’on eût dit un mur décrépi travaillé par la pluie. »

Les flacons en forme d’oiseaux ont été manufacturés dans le Nord de l’Italie ainsi que par divers ateliers, notamment à Lyon et à Avenches (Suisse). L’atelier de la Montée de La Butte à Lyon, daté du milieu Ier siècle ou du début IIe siècle (Robin, 2008 et 2009) a produit du petit flaconnage soufflé à la volée, des balsamaires, des flacons boules, des amphorisques ainsi que des oiseaux retrouvés en deux couleurs bleu-vert et bleu. Quelques pièces présentent encore la trace d’une poudre rose (Motte et Martin, 2003). Rien n’exclut également l’existence d’autres centres de productions car des objets similaires ont été retrouvés dans des sites éloignés, par exemple en Grèce, à Patras et Héraklion.

Du gypse a également été retrouvé dans un petit balsamaire en verre légèrement bleuté, en forme d’oiseau, conservé au Römisch-Germanisches Museum de Cologne (inv. N6042), mais dont la forme est différente des objets précédents car elle présente un long col tubulaire et une large ouverture au niveau de la tête. À la pointe inférieure se trouve un petit orifice. Cette forme est décrite comme un guttus, récipient duquel le contenu ne pouvait s’écouler que goutte à goutte. De nombreux flacons de ce type sont connus dans le monde romain. D’autres flacons ornithomorphe, cette fois à cou plus allongés en forme de S ou de col de cygne (type 127 de Morin-Jean), ont également été retrouvés dans divers contextes funéraires datés entre IIe et le début du IVe siècle, en Belgique, en Rhénanie, en Italie, et en France (Guérit, 2009). La forme très particulière du cou devait permettre le stockage de matières liquides, sans doute des essences parfumées que l’on pouvait verser par l’embouchure. Ce type est sans doute à écarter de notre étude sur les flacons à fard.

Ces formes d’oiseaux ont parfois été retrouvées associées à des ampoules sphériques (type Isings 10) dont certaines contiennent parfois des fards. La panse peut parfois être décorée de filets de verre rapportés à chaud, s’enroulant autour de celle-ci. Il s’agissait d’une ampoule scellée dont l’excroissance devait être cassée pour libérer la poudre cosmétique. L’ouverture ainsi créée, de très petite taille, aurait pu être refermée par un bouchon. L’existence d’un centre de production dans le canton du Tessin, en Suisse, et dans la région du lac Majeur en Italie a été proposée, tout comme pour les formes en oiseau décrites précédemment (Biaggio Simona, 1991)

Certains de ces ampoules sphériques, retrouvées dans la région de Cologne, portent encore des traces de couleur [fig. 4]. Nos analyses ont montré qu’il s’agissait, dans trois cas, de fard rose (objets avec numéro d’inventaire du Römisch-Germanisches Museum 23,371, 51,1272 et 23,372), fabriqué avec un pigment laqué composé d’une substance minérale riche en aluminium et en silicium. L’analyse par spectrométrie de masse d’un de ces échantillons a révélé la présence de molécules colorantes (purpurine) caractéristiques d’une variété de garance. Dans deux de ces objets, un peu de blanc de plomb (cérusite) était également présent. Deux flacons sphériques de Nijmegen contenaient également encore de la poudre de plâtre alors qu’un pigment rose de garance était présent dans d’autres (Hottentot et van Lith, 2006). Les contenus de ces formes sont donc à rapprocher de ceux présents dans les vases en forme d’oiseaux. Nous avons ici deux exemples particulièrement intéressants de formes associés à une fonction spécifique, le maquillage du visage.

Ampoule sphérique de l'Antiquité romaine
Fig. 4 – Ampoule sphérique, époque romaine, diamètre 7 cm (Römisch-Germanisches Museum, inv. 51,1272). (Cliché Ph. Walter)

Conclusion

Cette description de quelques objets contenant encore des restes de fard montre l’évolution progressive du choix des matériaux employés pour élaborer des récipients complexes. La place du verre pour la fabrication des flacons à fard devient prépondérante à l’époque romaine, conduisant à réalisation de flacons utilitaires, astucieux pour le transport et le stockage ou bien de contenants de formes symboliques chargés d’évoquer l’origine précieuse des matières. Ainsi la forme et le contenu permettaient de rappeler l’origine exotique des matières et contribuaient au développement d’une véritable industrie du luxe.

Philippe Walter

Remerciements

Nous remercions les responsables des collections de Cologne, Volos, Trèves et Pompéi qui nous ont donné l’accès aux objets décrits dans cet article et ont autorisé le prélèvement d’échantillons pour les analyses chimiques.

Figures

Bibliographie

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