Période capitale pour la parfumerie française que celle qui couvre les XVIIe et XVIIIe siècles. Elle voit la profession se structurer au sein de la puissante corporation des gantiers-parfumeurs. La production des eaux de senteur se diversifie et prend une ampleur considérable soutenue par un rayonnement culturel qui, depuis Versailles, donne le ton à toute l’Europe.
En même temps, on assiste à une véritable explosion artistique des flacons, stimulée par les progrès réalisés dans la fabrication du verre et de la porcelaine. On constate un renouvellement dans les formes et les décors, tandis que les flaconniers se parent de matériaux nouveaux.
« Grandes eaux » and Perfume Bottles in Versailles
The 17th and 18th Centuries are a critical period for the French perfume industry. Professionals are structured around the “gantier-parfumeur” trade guilds. Perfume waters production diversifies and increases as Versailles’ international influence radiates over Europe.
A spectacular artistic flowering of perfume bottles takes place, encouraged by manufacturing progress in glass and porcelain. New shapes and new materials make their appearance.
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Cet article a été publié dans Flacons, fioles et fiasques. De l’Antiquité à nos jours. Les Cahiers de Verre & Histoire no 3, Actes du troisième colloque international de l’Association Verre & Histoire, Rouen-Vallée de la Bresle, 4-6 avril 2013, Carré A.-L. et Lagabrielle S. (dir.), Paris : Éd. Verre & Histoire, mai 2019, p. 147-152.
La période qui couvre le XVIIe et le XVIIIe siècles est pour l’art du flaconnage des parfums particulièrement brillante. Elle correspond à l’apparition de progrès techniques importants, mais aussi à l’essor de la parfumerie française favorisé par l’intervention de l’État dans le domaine économique et dans l’organisation des métiers. L’émergence d’une profession autonome de parfumeur, ainsi que le rayonnement culturel de Versailles qui dicte les comportements, les modes et donne le ton à toute l’Europe, vont permettre d’établir la suprématie de la parfumerie française.
L’essor de la parfumerie française
Jusqu’au début du XVIIe siècle, la parfumerie est restée une activité éclatée que se disputent les apothicaires, épiciers, merciers et gantiers. Ces derniers ont, cependant, acquis un savoir-faire particulièrement important avec la confection des gants parfumés mis à la mode au siècle précédent par Catherine de Médicis.
En 1614, les gantiers reçoivent du roi Louis XIII « permission de se nommer et qualifier maîstres gantiers-parfumeurs ». Les apothicaires vont continuer à fabriquer des parfums car leurs pouvoirs thérapeutiques ne sont pas remis en cause, mais les maîtres gantiers sont désormais seuls habilités à se présenter officiellement comme parfumeurs. Dotés sous Louis XIV de statuts solides qui prévoient, notamment, un apprentissage long et exigeant, ils constituent une corporation très organisée. Elle va développer une industrie particulièrement florissante et lucrative.
Trois villes, Montpellier, Grasse et Paris vont jouer un rôle décisif dans ce développement.
Les gantiers de Montpellier peuvent s’appuyer sur une tradition scientifique et technique vigoureuse, née autour de la Faculté de Médecine, qui favorise la production de parfums thérapeutiques et affine les techniques de la distillation.
Ceux de Grasse bénéficient d’un terroir et d’un microclimat qui permettent la réussite de grandes plantations d’orangers et la multiplication des cultures de plantes à parfums : mimosa, rose, muguet, bergamote, lavande, violette, iris, jonquille, genêt, sauge sclarée. La tubéreuse apparaît dès 1632 et le fragile jasmin d’Asie est acclimaté en le greffant sur une variété plus résistante. Avec la rose et l’œillet, ces deux cultures nouvelles vont jouer un rôle important dans la fortune de Grasse.
C’est à Paris, centre des élégances [fig. 1, 2] et capitale financière, que l’on rencontre le plus grand nombre de gantiers-parfumeurs. Ils sont 250 en 1725, alors qu’à la même époque, ils ne sont qu’une cinquantaine à Grasse. Mais beaucoup de professionnels parisiens sont originaires du Midi, où naissent de grandes dynasties de parfumeurs. Les Fargeon, les Matte la Faveur viennent de Montpellier, les Cresp, Chiris, Galimard, Fragonard arrivent de Grasse.
Les plus en vue des parfumeurs fréquentent la bonne société et parfois même la Cour. Le célèbre Martial, parfumeur de Louis XIV, reçoit la charge enviée de valet de chambre du Duc d’Orléans, frère du Roi.
Le cardinal Mazarin disait d’Anne d’Autriche qu’on aurait pu « la mener en enfer avec du beau linge et des parfums ». Louis XIV a hérité de sa mère cette passion des fragrances. Le parfumeur Simon Barbe, auteur d’un traité de parfumerie publié en 1699, suggère que le roi est « le plus doux fleurant ».
À Versailles, le parfum est tellement présent, qu’on peut parler d’une véritable imprégnation.
Elle commence par la toilette car les bains et plus particulièrement les bains chauds, sont considérés comme dangereux par les médecins. Ils ouvrent les pores de la peau et permettent ainsi aux miasmes de pénétrer le corps et de corrompre les humeurs. L’eau sera donc remplacée par de l’esprit-de-vin et des parfums dont les arômes protègent de la putridité. Le parfumage ne se limite pas au corps, il s’étend au linge, aux vêtements, aux accessoires de mode, au tabac et même à l’ameublement. Louis XIV en usa avec une telle profusion qu’il développa une allergie et, qu’à la fin de son règne les courtisans avaient interdiction de se parfumer. Mais sitôt après sa mort, les parfums reviennent en force à Versailles. Il est d’usage d’en changer chaque jour et la Cour de Louis XV sera même surnommée en Europe « la cour parfumée ».
Les eaux de senteurs portées à Versailles sont des plus variées. Certaines sont de très anciennes compositions issues du Moyen Âge ou de la période Renaissance. C’est le cas de l’Eau de la Reine de Hongrie, première formule de parfum alcoolique connue en Europe. Madame de Maintenon en recommande encore l’usage quotidien à ses petites pensionnaires de Saint-Cyr. C’est aussi le cas de l’eau d’Ange (au benjoin) que Rabelais prescrit aux dames de son abbaye de Thélème, ou encore de l’eau de naphe (à l’orange), de l’eau de Cordoue (à la rose).
Mais ces grands classiques se sont enrichis d’une multitude de créations : eau « impériale », « royale », « germanique », « eau divine et cordiale » [fig. 3]. Au XVIIIe siècle, on délaisse les senteurs puissantes, relevées de musc ou de civette, au profit de compositions plus subtiles. Le prototype du goût nouveau est une eau créée par un parfumeur d’origine italienne établi en Allemagne, la célèbre « Eau de Cologne » qui va conquérir toute l’Europe.
À la suite de l’eau de Cologne apparaissent d’innombrables nouveautés : eaux « d’Adonis » ou « de Venise », eaux « Superbe », « Mignonne », « Céleste » ou « de Mille Fleurs », ou encore « Eau Couronnée », à la violette, élaborée par Fargeon à l’intention de la reine Marie-Antoinette. Elles privilégient les notes ambrées, hespéridées, florales, plus fraîches, plus légères.
L’explosion artistique du flaconnage
L’essor de la parfumerie française s’accompagne d’une véritable explosion artistique dans le domaine des flacons à parfums, qu’ils soient façonnés dans les matériaux les plus sophistiqués (agate, écaille, ambre, cuivre ou or) ou qu’ils profitent des innovations apportées aux techniques du verre, transparent et coloré (souvent attribuées à Bernard Perrot) ou du cristal (cristal parfois enserré d’une résille d’or [fig. 1]).
Le temps est à la multiplication des instruments destinés à la diffusion ou au conditionnement des senteurs, comme les pots-pourris, les vinaigrettes, les flaconniers ou les nécessaires de toilette [fig. 4, 5]. La vinaigrette remplace la pomme de senteur du Moyen Âge et de la Renaissance. D’apparences des plus variées (formes géométriques, fleurs, cœurs, papillons, animaux de toutes sortes), réalisée dans des matières très diverses, éventuellement en cristal, cette petite boîte sert à placer un morceau de coton ou une minuscule éponge imbibés du parfum choisi.
Une véritable attention est désormais portée aux fragiles flacons à parfums qui ne peuvent être transportés ni voyager sans précautions. Avec quelques instruments, dont un petit entonnoir destiné à permettre des mélanges de senteurs, ils sont disposés dans des flaconniers ou des caves à parfums en forme de coffrets (de bois de rose ou de laque, de nacre ou d’émail). Au cours de leurs apparitions quotidiennes, les dames de la haute société, Marie-Antoinette, entre autres, se munissent d’un nécessaire de poche, un objet de quelques centimètres, en or émaillé, porcelaine, écaille ou jaspe, qui contient un ou deux flacons miniatures, parmi d’autres petits ustensiles (pinces à épiler, miroir ou ciseaux [fig. 5]).
Ainsi, les fastes embaumés de Versailles ont-ils inauguré une véritable mode des flacons à parfums, petits contenants variés et précieux, eux-mêmes doublés de réceptacles de prix pour les protéger.
Annick Le Guérer
Bibliographie
Barbe (S.), 1693, Le Parfumeur françois, Lyon : Thomas Amaulry.
Barbe (S.), 1699, Le Parfumeur royal ou l’art de parfumer avec les fleurs et composer toutes sortes de parfums tant pour l’odeur que pour le goût, Paris : Augustin Brunet.
Blégny (N. de), 1878, Le livre commode des adresses de Paris et le trésor des almanachs pour l’année 1692, annoté par Edouard Fournier, Paris : Paul Daffis éd.
Buchoz (P.-J.), 1771, La Toilette de Flore, Paris : Valade, libraire.
Cadet (F.) et Darin (E.), 1878, Madame de Maintenon, Éducation et Morale, choix de lettres, Paris : librairie Ch. Delagrave.
Le Guérer (A.), 1999, « Les parfums à Versailles. Approche épistémologique », Odeurs et Parfums, Paris : CTHS, p. 133-141.
Le Guérer (A.), 2005, Le parfum des origines à nos jours, Paris : Odile Jacob.
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Figures